août 20, 2022

Salman Rushdie : à l’attention du clergé iranien, il aurait fallu collectivement plaider contre la Fatwa…

Vendredi 12 août, l’écrivain Salman Rushdie a été attaqué, au couteau, par un jeune américain, à l’occasion d’une conférence littéraire. Une dizaine de coups l’ont atteint, au foie, au cou, sur un oeil. Il a été évacué rapidement et placé sous respirateur. Deux jours après, il est réveillé et il parle, mais son état reste grave. L’agresseur a été immédiatement arrêté et emprisonné. L’agression paraît être motivée par une forme spécifique et rare de « fatwa » (cet ordre, cette injonction, juridico-religieuse, énoncée par une autorité ou réputée telle) énoncée par le fameux « Ayatollah Khomeiny », en 1989. Dans cette « fatwa », qui met en cause un « blasphème » contre des « saintetés islamiques », il conclut de sa sentence : «  J’informe le fier peuple musulman du monde que l’auteur des Versets sataniques, livre qui a été écrit, imprimé et publié en opposition à l’islam, au Prophète et au Coran, aussi bien que ceux qui l’ont publié ou ont connaissance de son contenu, sont condamnés à mort. J’appelle tous les musulmans à les exécuter où qu’ils se trouvent.  » Plus de 33 ans après cette incitation au meurtre, un individu s’est donc fait le bras armé de son affirmation.

Pour faire le point sérieusement sur cette dramatique histoire dans l’Histoire, il faut revenir aux… textes, à commencer par celui de Salman Rushdie, « Les versets sataniques ». Le titre présuppose et l’existence de « Satan » (le Diable), et son influence. Cette expression, de « versets sataniques », n’est pas musulmane, mais provient d’un noble écossais, orientaliste, Sir William Muir. La valeur de ces « versets » est, en Islam, controversée : certains les reconnaissent comme authentiques, d’autres considèrent que ce sont des ajouts postérieurs. Ces versets mettent en scène le Prophète qui se trouve au centre de la Mecque, entouré par les membres de sa tribu de naissance, les Quraychistes (en arabe, Quraych signifie « celui qui réunit », fondée par un descendant d’Ismaël. Dans cette situation, le Prophète semble concilier une pluralité (des « Déesses ») avec l’unité/unicité d’Allah. Une interprétation de ce moment est que le Prophète a été trompé par Satan, avant qu’il comprenne qu’il a été trompé par.

Ce livre est ici présenté ici de manière favorable et intéressante, par une lectrice, musulmane de surcroît. Dans le second chapitre du livre, un personnage qui serait une évocation du Prophète de l’Islam serait dans cette situation, citée ci-avant. Mais avant tout, ces scènes proviennent d’un rêve d’un des personnages du récit. Fiction dans la fiction, cette scène ne parle ni du Prophète, de manière explicite, ni du Prophète de manière moqueuse, puisque, si l’on admet qu’il s’agit d’une évocation du Prophète, celui-ci n’est pas abusé par le Dieu du Mal. Salman Rushdie ne propose pas une réflexion théo-logique argumentée : il s’agit d’une fiction dans laquelle il y a une évocation, dont le sens n’est pas moqueur, insultant, irrespectueux. Or l’Ayatollah Khomeyni a non seulement pris au sérieux ce récit, mais l’a interprété dans un sens particulier, qui ne va pas du tout de soi – si tant est qu’il ait lu le livre. Nous avons tous le droit de nous tromper, un théologien musulman comme les autres. Mais alors, étant donné les conséquences de l’interprétation négative effectuée par l’Ayatollah Khomeiny, il aurait fallu que des consciences partout dans le monde réagissent et agissent, sans réduire leur réaction à un simple soutien envers Salman Rushdie. Il aurait fallu écrire à l’Ayatollah Khomeiny pour, un, formaliser ce qui est rappelé ci-dessus, et même développer sur le fait qu’il n’est pas possible de parler contre Dieu, que la notion de « blasphème » est humaine, trop humaine. Au lieu de cela, les uns et les autres ont continué à monologuer, sans se parler. Et, 33 ans plus tard, un bras armé a frappé. Et il a échoué. Il faut s’en réjouir. Mais maintenant, il est plus que temps de s’attaquer à la racine du problème : l’interprétation négative de la fiction de Salman Rushdie, et, derrière, la dérive du monothéisme vers le manichéisme.

Cette première note sera complétée par d’autres, afin d’approfondir plusieurs points.

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